La situation musicale : de la musique expérimentale au design sonore/musical (partie 1)
Voici la première partie d’un texte intéressant pour amorcer une réflexion sur l’expérience musicale, dans différents contextes, incluant celui qui nous préoccuper sur ce blog, à savoir dans un contexte de communication… pour commenter et alimenter cette réflexion, les commentaires sont à vous ! Au passage, je remercie Rémi Lavialle, doctorant en musicologie à l’Université de Lille au laboratoire EDESAC pour cette production riche de sens…
La musique se vit, s’écoute, s’entend dans un ici-et-maintenant. Cet ici-et-maintenant, c’est la situation musicale. Ainsi avant d’être fixée sur un support, avant d’être considérée comme une oeuvre ou un produit commercial, une chose, la musique est une expérience, vécue en situation. La situation musicale se décline en une infinité de situations musicales particulières, ayant toutes leurs propres déterminations. Chacune possède sa propre temporalité, son propre lieu, sa propre configuration spatiale, chacune requiert une écoute spécifique (voire pas d’écoute), chacune possède une fonction plus ou moins déclarée. Ainsi entendre une musique d’ambiance au moment de faire ses courses au supermarché constitue une situation musicale bien différente de celle que constitue le concert de musique classique, l’écoute du baladeur dans la rue, ou encore la transe dans le rite religieux.
A partir des années 50, dans la musique savante occidentale, certains compositeurs ont progressivement intégré dans leur démarche expérimentale et dans leur oeuvre des déterminations extra-musicales : la mise en espace du son avec différents dispositifs de diffusion (multiplication des haut-parleurs dans les salles, mobilité du son), des configurations spatiales alternatives au face-à-face scène-public (musiciens au coeur du public ou disséminés dans la salle, musiciens mobiles), des lieux non dédiés au concerts (parcs, monuments) ou encore conçus spécifiquement (la grande sphère du pavillon allemand de l’Exposition Universelle d’Osaka en 1970 du compositeur allemand Stockhausen par exemple). La représentation devient ainsi spectacle plus “total” (les compositeurs travaillant en plus de la musique sur d’autres médiums), ou alors mise en situation ou ambiance si le schéma classique du concert se trouve trop bouleversé dans sa forme et sa temporalité (le “spectacle” pouvant par exemple n’avoir ni début ni fin, ou encore l’auditeur ne sachant quoi et où écouter).
Ces situations musicales nouvelles ont pour but ou en tout cas pour conséquence d’induire chez l’auditeur de nouveaux ressentis et de nouvelles perceptions, de nouveaux vécus de la musique, de nouvelles expériences musicales, et en définitive de nouvelles expériences tout court. Expérimentation spécifiquement musicale (invention de nouveaux langages musicaux, découverte de nouvelles technologies, en particulier l’enregistrement et l’électronique) et expérimentation sur l’extra-musical (espace, visuel, scénographie, médium technique, etc.) dans la musique évoluent de pair : les compositeurs jonglent avec ces différents paramètres. A partir de ces recherches, de nouvelles situations musicales sont inventées, et ces situations musicales constituent, au moment où elles sont vécues, des espaces-temps nouveaux pouvant susciter chez l’auditeur ou visiteur la déstabilisation de ses habitudes perceptives et ainsi l’adaptation (ou non) de ses attitudes et de ses comportements. Ces nouvelles attitudes peuvent se cristalliser en une nouvelle manière d’habiter le monde, en style de vie. Ainsi ces situations, en plus d’être des créations, en tant qu’oeuvres, sont créatrices, en tant qu’elles engendrent de nouveaux comportements, de nouvelles manières d’habiter le monde. La musique expérimentale, intégrée dans une démarche de situation musicale, est ainsi susceptible d’induire de nouveaux comportements chez l’individu, en considérant la musique comme un paramètre en rapport avec d’autres paramètres non musicaux mais pourtant déterminants dans la réception de celle-ci par l’auditeur. Il s’agit alors de créer de nouvelles perceptions, de nouveaux affects, de nouvelles postures en immergeant le spectateur dans une ambiance plus ou moins déstabilisante.
Mais l’ambiance peut être au contraire réconfortante, l’auditeur étant replongé dans une atmosphère familière, la situation musicale pouvant faire référence à un style de vie, à une identité. C’est le cas par exemple des magasins spécialisés qui plongent le visiteur dans l’ambiance caractéristique de la marchandise qu’ils proposent, cette marchandise pouvant être fortement liée à une identité, un style de vie : par exemple les magasins de surf, de sport plus généralement, de nouvelles technologies, de luxe, etc. La musique ou l’environnement sonore dans ces cas doivent “coller” à l’ambiance, comme les autres déterminations telles que l’aménagement spatial etc. ; elle constitue une identité sonore. Le but est alors de proposer au client plus qu’un moment de shopping, mais une véritable expérience d’immersion dans un monde (le monde du surf, le monde du luxe, etc.). La musique est alors sélectionnée ou produite dans une démarche de situation. On peut alors parler de design musical : la musique est produite par rapport à un lieu, une ambiance, une identité, etc., elle est conçue comme devant être vécue en situation. Elle doit invoquer chez l’auditeur des perceptions, des affections, des émotions liées à une identité particulière.
La suite du texte sera publiée courant de semaine prochaine…